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  • Photo du rédacteurAlain CABRAS

Choc tunisien, ondes méditerranéennes

Dernière mise à jour : 22 déc. 2021

On l’aura bien compris, ce qui se joue en Tunisie, dix ans après la première révolution arabe, est un événement à plusieurs niveaux de lecture dont chacun nous concerne.


Au premier niveau, le rapport de force politique entre un président , Kaïs Saïed, qui affiche sa probité comme identité de sauvetage pour toute une nation, et le parti islamiste majoritaire aux législatives mais grand perdant de la présidentielle, Ennahdha.

En France et en Occident, dans les communiqués officiels comme dans une très grande partie de la presse, la réflexion et les débats ont porté sur la qualification juridique de l’acte du président Saïed : coup de force ? Coup d’Etat ? Bonne ou mauvaise utilisation de l’article 80, cette version allégée de l’article 16 de la constitution française ?


Il a s’agit, dans un premier temps, de jauger et juger la légitimité des actes du Président à l’aune de la légalité inscrite dans la constitution de 2014. La toute jeune démocratie est d'ailleurs observée à la loupe par les démocrates méditerranéens comme par leurs ennemis islamistes ou sécularisés. Une jeune démocratie peut-elle vraiment utiliser sa nouvelle légalité pour poser une légitimité politique inédite : un coup de force ?


En moins de trente jours, soit le temps que la constitution permet au président pour orienter le gouvernement de la nation, une course contre la montre s’est donc ouverte, avec pour but de faire basculer la rue d’abord, puis les institutions internationales comme la Banque mondiale et enfin, les puissances étrangères ( Etats-Unis, France , Turquie et Maghreb ) dans le camp présidentiel.

Tous ces acteurs politiques veulent pouvoir répondre à la question : l’acte du président est-il légal ? Le légal apparaît ainsi comme source et garantie uniques de la légitimité du coup de force du président.

Le légal est l'horizon de la culture démocratique du pouvoir et, comme tel, attendu par les Occidentaux mais peut-il être suffisant en temps de crise majeure ?


Au deuxième degré de lecture, ce coup de force institutionnel, est aussi et surtout un combat pour l’avenir du récit national tunisien, autrement dit, pour les préférences collectives d’un peuple libre depuis dix ans.


La question est, ici : qui est légitime pour raconter et tisser ce récit fondateur ? Quelles sont les réelles valeurs centrales de cohésion du peuple tunisien : est-ce la sharia édulcorée à la tunisienne ou affirmée à la turque ? l’héritage colonial français même lointain ? la grandeur faussement disparue de Carthage rappelé par Kaïs Saïed ? Un mélange bancal entre la civilisation gréco-romaine et son antithèse l’islam ? Quelles valeurs et plus précisément quelles valeurs non négociables ?


Durant sa campagne présidentielle, Kaïs Saïed, avait donné sa vision de la culture et de la civilisation tunisienne face à celle de l’islamiste Rached Ghannouchi et de Nail Karoui, le libéral emprisonné pour corruption. Conservateur dans les valeurs et certains sujets sociétaux, laïque intransigeant et démocrate jusqu’au-boutiste, s’interdisant de voter pour lui-même après sa campagne ascétique, il a été révolutionnaire dans sa croyance en la force du lien entre un homme et le peuple.

Ce combat gagné, le président Saïed pense que ce qui est légitime dans sa vision de la société tunisienne doit pouvoir modifier le légal demain. Position qui n’est pas sans rappeler la vision gaullienne de l’Etat et de la nation en France.

Les actes du président sont-ils, dès lors, avant tout légitimes du point de vue du récit tunisien ? Cela nous renvoie à la fameuse citation du Général de Gaulle en juin 1940: « Si la légalité est à Vichy, la légitimité est à Londres ! ». Le légitime, dès lors, l’emporte sur le légal puis l'accompagne dans sa redéfinition.


Au troisième niveau, enfin, cette lutte pour la primauté du légal ou du légitime mais en évidence de manière collatérale le manque cruel de l’idée euro-méditerranéenne. Cette dernière qui aurait dû et pu triompher en 2007 avec l’avènement de l’Union pour la Méditerranée voulue par la France mais aseptisée par l’Allemagne. Elle aurait dû aider, en 2011, les révolutions arabo-berbères à réussir les transformations espérées.


Qu’elle est-elle ?

Les vertus des Droits de l’homme, le droit à la dignité économique et sociale avant toute autre considération, l’égalité hommes femmes ainsi que de la liberté absolue des femmes de maîtriser leur corps comme elles l’entendent sont ses valeurs centrales.

La volonté de faire toute sa place à la culture dans le champ de l’identité, au même niveau que celle du religieux, est euro-méditerranéenne.

Bâtir l’entreprenariat sur l'antique triptyque des valeurs que sont l’autonomie, la créativité et la responsabilité, sans souci de corruption, est un marqueur puissant porté par l’identité euro-méditerranéenne.

Vouloir répondre au désordre du présent en faisant confiance aux sociétés civiles organisées, aux diasporas, aux liens entre universités et monde économique comme réponses d'avenir est euro-méditerranéen.

Et que l’on ne vienne plus nous dire que cette idée est un fantasme petit-bourgeois d’Européen. Il y a dix ans, les masques sont tombés au grand dam de bien des élites et la jeunesse arabo-berbère a montré son goût prononcé pour la démocratie et ses libertés imparfaites.

L'idée euro-méditerranéenne est aujourd'hui une voie possible pour que le légal et le légitime, loin de s'opposer, s'influencent et s'harmonisent en Méditerranée.


La crise de la démocratie tunisienne est une pierre lancée dans le Bassin méditerranéen dont les ondes iront lécher ses rives, en remuant à nouveau l’écume des débats historiques commencés il y a dix ans.

Ne pas être attentif à la crise de cette jeune démocratie serait une erreur, ne pas l’aider et l’accompagner, une faute pour tous.



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