Discours de J.D.Vance à Munich : Incarnation américaine versus désincarnation européenne ?
- Alain CABRAS
- 19 févr.
- 3 min de lecture
Le 14 février n’est pas toujours synonyme d’amour entre les deux rives de l’Atlantique Nord. Bien au contraire. Du 14 février 2003 au 14 février 2025, nous avons assisté à une crise amoureuse proche de la rupture.
En 2003, lors du discours mémorable de Dominique de Villepin au Conseil de l’ONU, la France opposait une incarnation historique, de sagesse et de justice face à des Etats-Unis ignorants de l’Histoire des peuples et foulant aux pieds toute sagesse au nom de leurs intérêts matériels et de leur toute puissance. Bref, une Europe de l’incarnation démocratique contre une Amérique désincarnée s’élevait par la voix de la France.
Qui eût cru que vingt-deux années plus tard, ce serait un vice-président de 40 ans, ancien sénateur et avocat spécialisé en capital risque, mais diplômé de Yale, qui viendrait faire un discours sur l’incarnation de la démocratie à une Union européenne en voie de désincarnation avancée ?
Les réactions politiques outrées des chancelleries et de certaines élites européennes ont immédiatement accueilli le discours violent et méprisant du jeune vice-président. Pourtant il est historique. Non pas selon l’expression indigente à la mode mais réellement historique. Qui fera date et sens longtemps.
D’un point de vue anthropologique le discours de J.D.Vance a frappé à tous les étages de ce qui constitue une culture et sa cohésion. Si nous considérons qu’une culture est une matrice faite de de valeurs et de représentations, symboliques ou réelles, amenant une singularité, en un mot, à un « nous » pour accoucher d’une identité, alors la rupture est totale.
J.D.Vance a d’abord commencé par les valeurs centrales de cohésion qui « devraient » être les mêmes, à ses yeux, de part et d’autres de l’océan atlantique, en constatant une différence irréconciliable à propos de la liberté d’expression comme de la définition même de la démocratie. Le vice-président des Etats-Unis, défenseur du monde libre et vice-patron de l’OTAN est donc venu dire à Munich (ville maudite de la diplomatie) que les puissances européennes n’étaient plus dans le cadre commun : la démocratie libérale. Or, que pouvons-nous défendre ensemble et d’abord si ce n’est un cadre ? Le cadre disant le légal et le légitime des peuples qui tient sur deux jambes : la nation et la démocratie. Il est donc venu dire qu’en l’état, les conditions n’étaient plus réunies. Que nous n’étions plus dans « l’arc démocratique » et que, logiquement, nous n’étions plus défendables.
Il a ensuite évoqué les représentations et la singularité des nations démocratiques en disant : « Nous devons faire davantage que simplement parler de valeurs démocratiques. Nous devons les incarner ». Disciple de son maitre en politique qu’il qualifie de Sherif, Vance sait que Trump a gagné son élection, pas seulement sur les promesses qui n’engagent que ceux qui les écoutent, mais en montrant qu’il allait les incarner, lui. De la mise en scène de la signature des premiers décrets, le soir même de son intronisation, en passant par son courage lors de la tentative d’assassinat contre lui, Trump a incarné une vision et une unité, donc un symbole. Les symboles sont l’expression la plus haute de la culture. Ils disent ce qui rassemble, ce qui se transmet et ce qui se projette ensemble. Détestable ou adorée cette incarnation existe donc bien.
A un moment où en Europe, le mot de nation a disparu des valeurs de l’Union européenne et de la France en particulier, et où les élites politiques formées parmi les meilleures grandes écoles du monde, ont voulu l’effacer des discours, des billets et des références. Ne plus vouloir vivre que dans monde idéal où les peuples voyageraient et consommeraient sans ne plus avoir besoin de s’occuper de leur défense ni de leur puissance, de la force de leurs industries ni de leurs services publics, de leur pensée stratégique ni de leurs écoles voire de la fabrication de leur Doliprane, c’est avoir oublié leur propre notion de l’intérêt commun. Or, sans une notion d’intérêt général non négociable, il n’y a plus de cause commune ni de sentiment d’appartenance qui la rend viable. Il n’y a pas d’incarnation collective possible pour aucun peuple sur la Terre.
Le discours de Vance fera date parce qu’il a mis les Européens devant des besoins éternels de Sapiens : le besoin d’appartenance et de transmettre ce que l’on aime. Sloterdijk a cette phrase magnifique : « un système immunitaire symbolique est nommer, transmettre et protéger ce qui est tissé ensemble ». Vance est venu nous dire que nous n’avions plus le même système immunitaire : que nous ne tissions plus ensemble la démocratie. Mieux encore, qu’il ne souhaitait plus s’occuper de renforcer un système qui avait abandonné volontairement tout envie de se renforcer lui-même.
L’Europe et, à sa tête la France, doit reconstruire ses fondamentaux et recommencer par l’immense chantier de ses valeurs centrales de cohésion. Ce débat ne doit ni ne peut plus être évité. C’est vital.
Alain CABRAS
Interculturaliste, Professeur associé à Polytech Marseille.

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