En quelques jours, deux types de mises à mort ont eu lieu à Conflans-Sainte-Honorine et à Nice. Elles ont certes frappé des cibles différentes. Samuel Paty était un travailleur de la transmission, un ouvrier du savoir, alors que les deux croyantes et le sacristain égorgés étaient des serviteurs du divin. Cependant, ces deux types d’assassinats rituéliques ont en commun de s’être attaqués, non plus seulement à la culture française mais aux deux piliers de son récit fondateur : l’école républicaine et l’église catholique apostolique et romaine.
Vouloir détruire les représentants des deux piliers de l’histoire du « pouvoir vivre » ensemble, c’est vouloir anéantir le grand tout historique et mémoriel, conscient et inconscient français… mais plus largement européen.
L’Autriche paie lourdement, comme la France, son appartenance à la culture européenne alors qu’Elle ne possède ni laïcité, ni Charlie Hebdo mais est une république à la culture ancestrale et complexe, ayant fait face longtemps aux assauts des Ottomans.
Ce combat n’est en effet pas nouveau bien que dans l’inculture grandissante, il puisse sembler inédit pour beaucoup de Français choqués. Il dure de manière régulière depuis treize siècles en Méditerranée et en Europe. Il oppose les valeurs centrales de cohésion européennes, et en particuliers françaises, aux valeurs centrales de cohésion islamiques.
Les visions française et européenne du monde promeuvent depuis des siècles la liberté, l’émancipation, le libre-arbitre, la philosophie des Lumières issues des Grecs et des Romains de l’Antiquité, ainsi que le fondement du christianisme séparant ce qui revient à Dieu et ce qui revient à César. Elle déclare irrévérencieusement que les Droits de l’Homme l’emportent toujours sur les Droits de Dieu même dans les monarchies constitutionnelles. En un sens cette vision, dite universaliste parce que droit-de-l’hommiste est comprise comme un visage impérialiste impur de l’Occident par de plus en plus de musulmans.
La vision islamiste du monde, séparée en Dar al-islam (terre d’Islam) et Dar al-harb (territoire de guerre de conquête) qui sont pourtant inscrites ni dans le Coran, ni dans les hadiths du Prophète, est fondée sur la soumission à Dieu et son Envoyé. Logiquement, donc, ne compte pour le croyant que l’application de la Sharia du berceau à la tombe et le rêve, voire le fantasme, de l’unité, unique et universelle incarnée dans la Oumma, communauté des croyants.
L’anthropologue orientaliste Jacques Berque la traduisait par le « matriciel fécond » pour souligner la force de son énergie et de son emprise. Cette vision s’incarne enfin dans un projet politique sous la forme du Califat comme garant de ces piliers, comme ce fut fait de 661 à 1924 sous formes d’empires divers, mais jamais de nation.
Plus que deux systèmes de valeurs singulières et opposées, ce sont deux visions totales du monde qui s’affrontent dans la gestion des territoires sacrés, des valeurs et des… symboles.
Ce combat, aujourd’hui, est mené par des musulmans radicaux, et une partie de leurs alliés conscients ou non, contre les moteurs culturels et symboliques français et européens. Sont visés, en effet, les représentations et les comportements de chacun mais aussi, désormais, les mythes, les récits et les rites qui font l’esprit français et européen.
Cette lutte contre les symboles est cruciale.
Les symboles sont des représentations très concrètes liées à une tradition. Ils viennent du tréfond de nos préférences collectives, de nos cultures à l’image d’immenses icebergs où la partie immergée reste invisible à nos yeux mais pas à nos imaginaires ni à nos cœurs. Plus profond est le symbole, plus incarnées sont les sociétés et les nations. Ces dernières produisent toutes, ce que Peter Sloterdjik a appelé, un système immunitaire symbolique, qui a mission de nommer, transmettre et protéger ce qui est « tissé ensemble ».
Le système immunitaire symbolique français s’est cristallisé, dès 1302, lors de la querelle des deux Glaives entre la pape Boniface VIII et Philippe le Bel opposant le spirituel ( l’Eglise ) au temporel ( l’Etat), puis dans le temps, la raison à la croyance, les Lumières au catholicisme, jusqu’à l’organisation par la loi de 1905 d’une méthode républicaine pacifiée.
Le système immunitaire autrichien s’est cristallisé le 12 septembre 1683 lors du deuxième long siège de Vienne par l’empire ottoman musulman et sa défaite cuisante.
En s’attaquant à ces deux piliers, les tenants de l’islam radical cherchent, aujourd’hui, à détruire les symboles de la société européenne en la privant de ses forces de cohésion car en bons connaisseurs du sacré, ils savent que la dernière fonction du symbole est d’être un amplificateur d’énergie de ce qu’il représente et fédère.
Pour faire rempart et échec à l’hydre islamique, il faudra rendre leur énergie à tous les symboles français et européens, institutionnels comme informels et réapprendre à vibrer autour du « Nous » français et européen qu’ils nourrissent et fortifient.
« Les civilisations ne meurent pas assassinées, elles meurent parce qu’elles se suicident ». Toynbee
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