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Le Légal versus le Légitime

  • Photo du rédacteur: Alain CABRAS
    Alain CABRAS
  • 9 mai 2023
  • 4 min de lecture



Le débat qui couvait entre le légal et le légitime est arrivé à la surface de notre quotidien. Cette opposition est un enjeu politique majeur depuis 2015, date à laquelle les crises ont commencé à s’accumuler et s’additionner.


En effet, avec les attentats islamistes, s’est urgemment posée la question de la réponse aux ennemis de la liberté et de la laïcité, donc de l’essence de la nation française au XXIème siècle. La pandémie du Covid et les confinements ont mis une couche supplémentaire de débat entre ce qui était légitime ou pas, légal ou pas dans l’obligation vaccinale et celle de « rester chez soi ». A force de nous avoir répété que « nous étions en guerre », le légal et le légitime se sont évidemment concurrencés comme dans tout guerre réelle, où la règle s’efface devant la survie et les croyances en certaines causes sacrées.


A la suite de la menace terroriste et du choc sanitaire s’ajoutent, désormais, la séquence crue de la réforme des retraites et, très bientôt, celle de l’insécurité publique (la lutte contre le trafic de drogue, les viols, les violences intraconjugales et les rodéos urbains) et de l’immigration incontrôlée voire incontrôlable (en France métropolitaine et à Mayotte).


Dans chacun de ces cas, au moment de l’incarnation de la prise de décision, apparaît que la réponse « légitime » aux yeux d’une majorité de citoyens (sondages, occurrences lourdes sur les réseaux sociaux et manifestations) se voit empêchée quand ce n’est pas tout simplement rejetée sévèrement par les tenants du légal ( une certaine élite judiciaire, politique ou médiatique). S’ouvre alors la séquence sans fin des arguments pour ou contre et des qualificatifs doucereux pour discréditer le camp adverse, toujours au détriment du fond.

Hélas, tout ceci n’est que l’écume à la surface de ce qu’il convient d’appeler le « processus hystérique » dans lequel est tombée notre belle société, jadis dite des Lumières. Or, plus le processus hystérique augmente, plus le sentiment de puissance et d’efficacité s’étiolent. Pour euphémiser et contrer ce processus, il convient d’injecter des doses de processus historique. Remettre de la perspective et réapprendre à détendre l’élastique du lance-pierre qu’est un récit collectif.


Concrètement cela signifie que vient le temps d’ouvrir deux chantiers cruciaux.

Le premier est celui du légal. Comment unifier le régalien pour que sa réponse soit efficace et durable ? Comment, en effet, établir l’autorité pour tous dans une société qui est tout près d’entériner, définitivement, le passage du « droit à la différence » à la différence des droits ? Si ce dernier devait advenir, loin de donner plus de libertés de se représenter en société, il exacerberait à la fois l’individualisme et les communautarismes. Bref, en un mot comme en cent, comment faire en sorte que chaque décision politique ne soit retoquée par décision du droit, dès lors qu’elle sert l’intérêt général ?


Le second chantier est plus colossal encore. Il s’inscrit dans le temps long. C’est le chantier du « légitime ». Comment renouer le récit d’une histoire qui accouchera d’un plus petit dénominateur commun en France pour le siècle ? On aura compris, que la réponse s’avère être culturelle. Que ce soient les grands débats sur la laïcité, la place des femmes dans la société, le rapport au travail, à l’insécurité, à l’immigration comme à l’Europe voire à la guerre ; le légal ne suffit plus pour faire cohésion.


Pour qu’un collectif pratique l’unicité, à savoir la capacité de s’unifier en tenant compte au maximum des différences qui le composent, il lui faut sacraliser le principe de reconnaissance entre les acteurs. Il lui faut établir que la réciprocité entre ses membres soit non-négociable.


Et c’est bien normal puisqu’une cohésion se bâtît d’abord sur un pacte et non sur un contrat, d’abord sur des valeurs non-négociables et non sur des procédures.

Pour redonner une définition du « légitime », une vision est alors nécessaire de ce qui fait culture commune. Elle inclue et implique toujours trois ingrédients indispensables :

- des valeurs centrales de cohésion, premier étage de la fusée de la culture d’un collectif autour de son « non négociable » ;

- une idée claire de nos représentations intérieures et extérieures qu’elle entend adopter pour incarner ces valeurs ;

- et enfin, une volonté d’être singulier pour jouer sa partition dans le monde car « c'est ainsi que l'histoire (de France) trouve sa vraie mesure : des faits attestés, sublimés par un récitatif poétique."[1]

C’est ce à quoi sert une culture vivante et vivace. C’est ainsi qu’elle est attrayante et respectée.


Les entreprises l’ont bien compris qui, des grands groupes aux PME, ont ouvert sérieusement ce chantier, en leur sein, depuis deux décennies.

Là est le débat national à venir. Il déterminera tous les autres et par commencer la définition que nous entendons donner à ce que Sloterdijk appelle notre « système immunitaire symbolique »[2].


Alain CABRAS

Interculturaliste, expert en valeurs centrales de cohésion.

Co-auteur du Livre géant de la Laïcité, prix de la République française 2021.

[1] Denis Tillinac, L'âme française, Albin Michel, 2016, Paris, 256 p [2] Sloterdijk Peter, Tu dois changer ta vie, Ed Maren Sell, 2011

 
 
 

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