Les Droites et le casse-tête du modèle culturel français
- Alain Cabras
- 6 nov.
- 4 min de lecture

Face aux gauches devenues multiculturalistes dès les années 90, les droites n’ont toujours pas réussi à poser clairement leur vision du cadre culturel d’une France désormais et définitivement plurielle.
Majoritaires, de façon écrasante, dans le pays sur toutes les questions de cohésion, de gestion des flux migratoires ou de transmission de la culture française, les droites peinent à trouver, paradoxalement, une voie et une méthode capables de lier respect du cadre de la culture française, pluralité qui compose sa société et fabrique d’un commun, d’un “Nous”.
Les droites françaises ne souffrent pas seulement d’un manque de leaders ou de singularité, mais d’un vide symbolique, d’une panne d’imaginaire qu’elles traversent depuis quarante ans.
Or, si elles veulent un jour réellement donner une vision et un sens au pouvoir qu’elles veulent exercer, à nouveau ou pour la première fois, les droites doivent répondre à la nécessité anthropologique du sens du collectif France.
Les gauches y ont répondu : le cadre national et républicain est « négociable » pour accueillir favorablement les peuples des anciennes colonies, leurs cultures et leur religion (l’islam essentiellement) en réponse à une histoire jugée uniquement par le prisme esclavagiste et colonial. C’est le multiculturalisme assumé, comme étape suivante de la construction d’une démocratie mature à savoir créolisée. C’est une croyance profonde pour une grande partie de l’intelligentsia des grandes villes et d’une certaine jeunesse.
Pour les droites, il en va tout autrement depuis quarante ans.
Or, il fut un temps où les droites françaises, diverses mais lisibles, incarnaient des récits puissants. Elles offraient des horizons, non des calculs ; des mythes plus que des slogans.Aujourd’hui, égarées dans le bavardage, leur naufrage n’est pas seulement politique : il est anthropologique. Depuis Maastricht et la création de l’UMP, elles errent sans boussole culturelle. Elle ont déserté le champ symbolique, là où se forment les civilisations, par croyances limitantes dans leurs capacités à dire l’ordre de la société et du monde.
Trois droites, trois imaginaires en ruine
L’historien René Rémond distinguait trois familles : la légitimiste, l’orléaniste et la bonapartiste. Trois façons de croire, de gouverner, de rêver la France.Elles n’ont pas totalement disparu, mais survivent comme des chevaliers errants d’un monde passé à l’heure du monde de la complexité et du choc des cultures.
La droite légitimiste, conservatrice, garde le culte du passé et de la hiérarchie. Elle défend la tradition, mais oublie que la tradition vivante est d’abord affaire de transmission, non de musée.
La droite orléaniste, libérale, prêche la liberté et la mondialisation heureuse. Elle s’est dissoute dans l’économicisme, parlant en anglicisme même à la maison et pensant en tableau Excel. Elle a rejoint en grande partie le bloc central.
La droite bonapartiste et gaulliste rêvait d’un peuple un et souverain, conduit par un État-nation fort mais qui, aujourd’hui, ne fascine plus, écrasé entre la superstructure européenne, la décentralisation obèse et la fin de l’autorité.
Trois visions de la pluralité française
Or, aucune de ces trois droites n’arrivent pas à proposer une vision claire sur ce sujet par refus ou par ignorance.
La droite légitimiste ne conçoit la France que pluriculturelle. Elle tolère la diversité inévitable comme on tolère un voisin bruyant, au nom du vivre-ensemble indigeste.C’est la France du « pays réel », des clochers et des fidélités enracinées. Belle, mais figée. Elle oublie que la cohésion ne se décrète ni par le sang ni par la nostalgie, mais par le sens partagé.
La droite orléaniste, libérale et bourgeoise, pense la France multiculturelle.Elle épouse la logique du marché des identités, où chacun se définit et consomme à sa guise. Mais sans enracinement symbolique, la multiculturalité devient juxtaposition de communautés et se transforme en idéologie multiculturaliste. Elle tue le pacte culturel national.
La droite bonapartiste et gaulliste rêve la France universaliste.Non pas par une addition des différences, mais par l’orchestration dans un récit commun. Au service de la grandeur à l’extérieur, elle prône la réciprocité, la reconnaissance et le cadre laïque comme espace du lien pour un nouvel humanisme, à l’intérieur.
Réenchanter le collectif par l’interculturel
Accepter la pluralité culturelle n’est pas trahir l’esprit français : c’est le prolonger.La France a toujours fait de la diversité une civilisation, à condition qu’elle soit ordonnée, féconde et orientée vers un sens commun, une unité nationale. L’oublier c’est passer la frontière de l’extrême-droite.
Sans mythe commun, pas de nation. Sans récit partagé, pas de peuple. C’est cette grammaire du lien que les droites doivent réapprendre.
Les mots “nation”, « Etat », “mérite”, “famille”, “autorité” n’ont de force que s’ils s’inscrivent dans un récit collectif capable de parler à toute la pluralité de la France réelle du XXIème siècle. L’enjeu n’est pas de restaurer une identité figée, mais de réinventer la cohésion.
C’est la raison pour laquelle « la » droite n’a plus besoin de se chercher un chef : elle doit se retrouver une méthode : assumer la pluralité sans renoncer à l’unicité.
Pour les droites, la voie et la méthode interculturelles sont capables de les réunir toutes. En posant, dans un cadre culturel d’accueil respecté et aux valeurs solides ( Légitimistes), la diversité est une richesse mondialisée ( Orléanistes), dans le but non négociable d’une unicité et d’une cohésion (bonapartiste), les droites pourraient nourrir à nouveau un imaginaire nourricier du récit et du roman national français… et se retrouver.
« La Droite » de demain sera celle qui saura réenchanter le collectif comme la Gauche a su le faire au XIXème et XXème siècle, sinon, elle ne sera plus qu’une nostalgie parmi d’autres dans une France qui changera sans elle.
Alain Cabras — Consultant, Conférencier, spécialiste de la culture d’entreprise et de l’anthropologie des croyances.




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