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Les valeurs sont plus fortes que les règles face à l’entropie.

Photo du rédacteur: Alain CABRASAlain CABRAS

Dernière mise à jour : 17 nov. 2021

Dans les périodes de crises, la pire chose qui puisse arriver à l’unité d’une société est que les deux piliers « légalité – légitimité » n’aillent plus de pair. En France, ce type de tragédie avait connu son dernier épisode en juillet 1940, amenant le général de Gaulle à répondre à ceux qui l’interrogeaient sur sa légitimité que « si la légalité était à Vichy, la légitimité était à Londres ».


Les deux confinements viennent de raviver cette opposition entre légalité et légitimité au détriment des cohésions des collectifs allant de la nation aux entreprises. Cette dichotomie entre ce qui ne devrait pas être séparé, produit une désorganisation politique et sociale dangereuse mais aussi un brouillage des repères culturels hautement nuisibles, qu’est l’entropie.

Les deux confinements jonglent avec ce duel, légalité – légitimité, mais pas dans le même sens.


Le premier confinement a heurté de plein fouet les fondements de notre culture sur ce qui nous semblait normal et « naturel » depuis longtemps, à savoir, notre rapport intime au temps, à la vitesse, au lieu, à la connaissance, à l’altérité, à la tolérance et à… l’insupportabilité. Les bonnes vieilles mesures de la bonne distance entre nous, la proxémie, ont carrément explosé, physiquement et symboliquement.

Dans le monde du travail, la généralisation du télétravail a bousculé, à elle seule, nos visions culturelles de la hiérarchie, du degré d’acceptation de l’incertitude, des définitions du court et moyen terme, et même, au plus profond de notre imaginaire collectif, de notre logique de l’honneur. Il est ainsi apparu comme nouvelle vertu de cette mise à distance forcée que lorsque le télétravail était fait honnêtement, il remettait en vigueur l’antique triptyque prestigieux de l’artisan : « autonomie, responsabilité, créativité », contribuant à un sentiment puissant d’accomplissement pour les personnes.


Durant ce confinement, en parallèle de celles et ceux qui se plaignaient de solitude, de souffrances de mélange des genres ou d’étouffement familial ; il y avait avec une aussi grande résonnance celles et ceux qui affirmaient, au contraire s’être épanouis. Ce sentiment, le psychanalyste Carl Jung l’avait appelé l’individuation : cette partie du cheminement qui amène à l’indépendance et la liberté d’être soi. Cet accomplissement qui ne donne pas seulement une éphémère satisfaction mais produit ce contentement durable qu’évoquait Maslow dans son approche des besoins de croissance. En management interculturel, on parle alors de « renforcement de la légitimité » de celle ou celui qui le vit pleinement. En effet, la personne est d’autant plus « contente » de gagner en autonomie, responsabilité et créativité que celles-ci sont valorisées par la culture française. La logique de l’honneur étant, pour les personnes le fait d’accomplir les devoirs que la coutume a fixés à la catégorie particulière à laquelle on appartient, ou on croit appartenir.


Dès lors, il est apparu qu’à l’issue du premier confinement, plus de travailleurs salariés se sont sentis plus « légitimes » encore dans leurs cercles d’appartenance réels ou imaginaires. Cela a remis au goût du jour un grand appétit pour les valeurs, au sens de principes de vie qui guident des actions.

Ayant gagné en alignement entre leurs valeurs personnelles et leurs valeurs professionnelles, ils ont retrouvé ce sentiment bienfaisant qu’est la confiance. Ils ont pu réaliser « ce qui était juste de faire » à leurs yeux et ce, grâce au retour au récit « du pourquoi le faire ». Cette articulation entre valeurs personnelles et professionnelles autour du tuteur de la notion de juste et confiance, produit et fortifie les valeurs centrales de cohésion.


A l’issue du premier confinement, pour beaucoup, avoir écrit un morceau inédit du récit, par eux-mêmes, de l’aventure de l’entreprise a eu les mêmes vertus, révélatrices et réparatrices, qu’écrire un bout de sa légende personnelle, si chère à l’Alchimiste de Coelho. Une des autres vertus, non des moindres, étant d’avoir pu maîtriser, dans cette auto-management de soi par les valeurs, la peur du futur et de l’incertitude. En effet, « quand il n’y a plus de futur, restent les commencements », comme l’écrit si bien Regis Debray dans son hommage à Daniel Cordier. Il reste à recoudre le récit par sa propre initiative en lien avec le récit fondateur, c’est-à-dire le mythe de l’entité à laquelle on appartient en œuvrant, en travaillant.

Durant l’été, avec le recul, bien des individus ayant découvert la joie de l’écriture du récit collectif, se sont sentis être, non plus des travailleurs mais comme des ouvriers de l’œuvre commune : des artisans.


Hélas, après cette courte accalmie, le deuxième confinement (j’aimerais écrire le second) est arrivé brutalement. Légalement encore ont diminué les libertés au nom de la sécurité sanitaire et de la peur de ne pas pouvoir faire face dans des hôpitaux affaiblis, majorité politique après majorité politique. Dans cette deuxième assignation à résidence pour les uns, condamnation à tout perdre pour les autres, se fait entendre aussi, un signal faible mais à ondes longues. Il s’agit de la revanche du légal sur le légitime dans bien des entreprises et des services publics voire dans la société entière. Rien de plus anormalement normal ; dans les administrations publiques comme privées, dans les structures et leurs hiérarchies, les esprits planificateurs et technocratiques se sont réveillés, redressés et même rebiffés. A la question toujours plus grande de la demande de sens, la réponse est désormais celle des règles et du contrôle.


Si la règle libère, comme cela fut souvent avancé dans les grandes sagesses primordiales, l’excès de règles tue la liberté des personnes, la cohésion des équipes et l’harmonie par le sens. Si les mystiques de toutes les religions invitèrent à traverser le labyrinthe de l’ordre et des institutions, c’était afin de renouer avec la quête de sens et faire mesurer combien elle était précieuse à l’humain après en avoir été privé.


C’est pourquoi si l’institutionnalisation du sens permet de faire face à l’incertitude c’est à condition d’absorber une petite dose de ce dernier. Le principe étant toujours permettre la possibilité d’une création ou d’une fulgurance et d’échapper à la prééminence de la procédure sur la valeur. Qui trop étreint par la règle étouffe la valeur et produit l’entropie.

Or, aujourd’hui, dans ce deuxième confinement vécu plus durement, au besoin de survie des uns, de grandir des autres, c’est bien la question du lien, de sa place dans la société et de l’alliance entre les hommes qui se pose et se posera, à tous, sans détours, la crise sanitaire passée. Constater qu’aux forces de l’entropie politique et sociale auxquelles nous nous sommes habitués, s’ajoutent celles de l’entropie culturelle et des repères qui font « société » n’a rien d’un scoop. A la difficulté grandissante d’organiser le sens en commun se mêle la quantité d’énergie colossale utilisée pour tenter de créer de la bonne entente entre les acteurs de la société par la culture de la loi, de la norme et de la règle. Mais celles-ci, toute nécessaires qu’elles soient ne produisent jamais de la culture d’unité et d’unicité dont une société, une entreprise, un collectif ont besoin pour faire obstacle à l’entropie. Ce qui sauve de la dynamique de la désintégration est la force de l’engagement renouvelé de ses membres.

Cet engagement en situation de durcissement des relations sociales, politiques et culturelles ne puisera sa force que dans la raison d’être utile (aux autres) et au service d’une cause plus grande que soi et nos raisons d’avoir. En se souvenant que s’engager c’est mettre en gages des choses importantes pour soi, il faudra prendre conscience que chaque l’engagement sera plus de l’ordre la logique de l’honneur et de la parole donnée que dans celle du contrat « légal ».


Les deux confinements entre nouvelles solidarités entre travailleurs et accomplissement de soi ont montré la volonté d’épouser la logique du pacte source d’alliance entre les individus. En ces temps d’agonie des métarécits, ce retour de la volonté de faire récit, à côté de l’obligation légale de vivre ensemble, est un signe d’espoir et de lumière dans le grand chaos que nous traversons. Il sera nécessaire de réintroduire une dose de pacte dans le sentiment d’appartenance pour produire cette confiance que les excès de règles, parfois jusqu’à l’absurde, ont détérioré. Ce pacte, pour dessiner une nouvelle alliance mais qui n’annule pas les autres qui la précèdent, ne peut tenir que sur une vision claire des valeurs centrales de cohésion partagées sur ce qui est légitime collectivement.


Et si le légal et le contrat restent indispensables pour garantir la forme du cadre d’une société, la légitimité est tout ce qui reste quand il n’y a plus de cadre pour dire aux humains d’un même collectif ce que Malraux appelait « la formule la plus simple de l’amour : tu m’es nécessaire ».



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