Ce matin, en réalisant que cela faisait déjà un an que Chirac était mort, je me suis dit que, forcément, Denis Tillinac avait dû faire une tribune inspirée, nostalgique mais pleine de panache en hommage à son ami.
Quel choc de découvrir qu’il était parti le rejoindre un an après. Une peine immense m’a submergée en même temps qu’un sourire incrédule sur les lèvres. Un an jour pour jour… il a osé...
La tristesse est tenace, ce soir, parce que je l’aimais beaucoup et qu’il me le rendait bien. Je l’avais rencontré en 1994 alors qu’après mon diplôme de Sciences Po Aix, j’étais sans Père, ni repères et ne trouvais plus ma place parmi mes pairs, pour paraphraser Lacan. Mes frères d’âme et d’esprit étaient partis sans moi, à Paris, poursuivre leurs études. J’étais resté à Aix et je ruminais encore l’échec de notre combat contre Maastricht en 1992, que nous avions perdu, et qui allait dévitaliser notre belle société française jusqu’à aujourd’hui.
En quête de sens de ma mission ici-bas, je fouillais dans les librairies aixoises, histoire de trouver un Graal. Et je finis par le trouver : "le retour de D’Artagnan", de Denis Tillinac !
Cet inconnu me libérait. En parlant d’une certaine jeunesse perdue, il parlait de moi à chaque ligne. Je lui écrivais et lui disais ma reconnaissance et ma joie de l’avoir lu. Je n’imaginais même pas une réponse et pourtant elle vint, à l’encre verte. Avec une invitation à venir le voir au 14 rue Séguier aux éditions de la Table Ronde qu’il faisait mine de diriger.
Allaient commencer une série de rendez-vous, de promenades, de discussions enfiévrées, de repas interminables et arrosés, certains chez notre si cher Michel Maffesoli , des cérémonies au Quai d’Orsay et à l’Elysée, des invitations à rencontrer le « Grand » ( Chirac) puis le « Fou » ( Villepin).
Il m’emmena voir Baudrillard rongé par la maladie mais à l’esprit si vif et ironique, il me fit croiser Régis Debray que je lisais avec ferveur et qui vivait sur le même palier que lui.
A Aix-en-Provence, nous dînâmes une fois autour de Villepin, sur un coup de Denis encore, qui avait réussi à nous le ramener quelques jours après son fameux discours à l’ONU du 14 février 2003 avec quelques rares amis chers, des grognards comme lui. Une autre fois, je l’invitais à Sciences Po Aix puis après sa conférence, dans la plus grande confidence à la demande des deux intéressés, cela me faisait sourire, j’organisais le diner-débat Denis Tillinac- Bruno Etienne. Ça allait tonner ! Le Gaulliste réac, amoureux de la France et l’Afrique face à l’anthropologue anarchiste amoureux de la civilisation arabo-musulmane et japonaise. Ils s’étaient séduits toute la soirée… et s’étaient bien marrés de mes mimiques faussement indignées.
Je revis Denis la dernière fois lors d’un de nos cafés aux Editeurs à Odéon, en juin 2018. Il faisait chaud mais il avait toujours son pull et sa veste épaisse. « Alors Cabras, toujours aussi fou ? L’interculturel ? C’est quoi déjà ton truc ? Répète ! ». On avait reparlé des valeurs de cohésion et de leurs forces, de De Gaulle, de la France, de Chirac avec qui la fâcherie avait laissé des traces en lui. De l’Afrique, de l’islamisme, de la beauté des femmes. Et de Macron et de ses troupes déjà perdues par manque de connaissances de la société française qu'il connaissait si bien.. De Malraux et Cyrano comme toujours. Et de Char pour se quitter noblement.
« Fonce, si t’as besoin tu m’appelles hein ? » … Oui Denis... J’avais son numéro de portable mais avec l’interdiction de dire qu’il en avait un. Je n’ai jamais osé le gêner en faisant sonner l’affreux objet.
Cette nuit, l’Esprit français se trouve encore plus triste et affaibli par son départ. Je ne sais si sa foi catholique se révélera être la vérité qu’il cherchait dans le son des clochers et la beauté des nefs des Eglises, dans les terroirs de notre « cher et vieux pays » et la grandeur gothique de l’âme française, mais je lui souhaite de tout mon cœur de débiteur d’âme et d’esprit, de se retrouver auprès de tous ses héros comme le Général, et ses amis comme Chirac.
Denis Tillinac était un homme d’une spiritualité puissante, un amoureux des Lettres, des Arts et des combats. Il était un D’Artagnan et un Cyrano, un soldat de l’an mil et un gueux des Glières, un Grognard de l’Empire et un poète, un esprit politique accompagné de deux muses à chaque bras. Il était un homme libre. Un français libre. Un homme, c’est tout.
Il va me manquer.
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