top of page
  • Photo du rédacteurAlain CABRAS

L'Etat islamique et la stratégie de l'oignon



L’EI menace à nouveau les Européens d’actes terroristes pour venger la mort de son dernier chef tué en Syrie, en février dernier.

L’annonce ne doit rien au hasard. Pour Daesh, l’Europe est considérablement affaiblie par la guerre en Ukraine. En effet, les Européens, ventres mous de l’Occident et de la chrétienté, sont non seulement tétanisés par la menace russe mais aussi opposés sur la ligne à tenir militairement et en termes d’approvisionnement énergétique. Pire encore, après des années d’attentats et de Covid, la boussole des sociétés européennes s’est affolée, hystérisant les joutes politiques et la quête de sens collective.

Une aubaine pour l’EI qui n'a toutefois jamais changé de stratégie comme toutes les autres branches islamistes radicales.

Ce qui pourrait apparaître comme un nouvel épisode n'est rien d'autre que la continuité d’une action terroriste dont la mission est bien d’anéantir les sociétés démocratiques européennes : telles des oignons dont il faudrait supprimer chaque couche.


La première, celle de la surface, a été attaquée dès 2004 aux Pays-Bas avec l’assassinat de Théo Van Gogh et à Madrid dans le train de banlieue par Al-Qaeda. Depuis 2015, en France et au Danemark, ainsi qu’en Autriche et en Allemagne, c’est Daesh qui est l’œuvre. La couche visible du « centre psychologique » des sociétés et de leurs élites est ébranlée durablement par les attentats de masse ou ciblés.

Il y a eu, certes, les images, le sang, les corps, les larmes et le deuil mais aussi un effet caché plus pernicieux. En effet, depuis les stratèges de Daesh, parfaits connaisseurs de nos sociétés, savent pouvoir compter sur une arme psychologique à l’efficacité redoutable : le pouvoir de la croyance limitante.

Qui n’a pas entendu ou lu les « on ne peut rien y faire », « il est trop tard », « ils sont trop nombreux, armés, fanatisés et de surcroit… Français » ? Nos croyances que nous alimentons jouent contre nous : n’est-on pas persuadés, par exemple, que nous Européens, pacifistes, hédonistes et individualistes ne pouvons rien opposer d’aussi « fort » à cette menace dogmatique meurtrière avec nos standards de vie ? Hélas, nos croyances ne s’arrêtent pas là : même dans les solutions nous ne luttons pas à armes égales. Convaincus que seul le bouclier de la laïcité pourrait nous prémunir, nous avons oublié que des attaques identiques avaient eu lieu dans bien des pays européens, où cette dernière n’existe pas.

Alors pourquoi cette incapacité à analyser ce qui se passe et se joue sous nos yeux ? La faute peut être à notre mémoire gommeuse, cette capacité à effacer les moteurs de notre propre histoire et les longs combats menés pour émanciper toujours plus la condition humaine. Tant que ce renoncement à se connaître et s’assumer perdurera, le « centre psychologique » collectif de nos sociétés sera abîmé et entrainera notre incapacité à pouvoir accepter et nommer le réel.


La deuxième couche a été entamée, en France, avec le martyr du professeur Samuel Paty, le 16 octobre 2020.

Avec cette attaque c’est le socle même des valeurs démocratiques et républicaines de la société française que les islamistes visaient en portant un coup à ceux qui les véhiculent, à savoir les enseignants. Même si l’attaque venait d’un musulman tchétchène, apparemment isolé, le terreau des croyances limitantes a fait son œuvre jusqu’au drame absolu. Cela a eu pour effet de déstabiliser un peu plus encore une profession, déjà très divisée sur son rôle quant à la transmission de ces valeurs.

Quelle dose de courage faut-il désormais, plus qu’avant, dans bien des territoires, pour oser évoquer certaines libertés comme d’expression, de conscience ou de blasphémer. Avec l’attaque de la deuxième couche, l’Etat islamique et les autres islamismes cherchent à avoir la mainmise sur le « centre intellectuel » de production des Droits de l’Homme et des futurs petits républicains en France, démocrates dans d’autres pays européens, à l’image de l’association « Cage »[1] encore ces jours-ci.


Reste le noyau de l’oignon, l’essentiel maudit par toutes les familles d’islamistes et l’EI en particulier : celui de la culture. Font culture les préférences collectives d’un groupe humain lentement mais sûrement acquises et éprouvées. Si les attaques devaient à nouveau frapper les deux premières couches, il deviendrait urgent de se poser et répondre à cette question vitale : Quelles sont les dynamiques de groupe quand des valeurs sont explicitement en jeu ? Comment y faire face ?


Autrement dit que devons-nous faire de notre « non négociable », comme la liberté d’expression, la liberté et l’égalité des femmes et des hommes, le droit à l’apostasie, refoulés et méprisés par l’EI et autres islamistes.


Quand Decaux et Insert renoncent[2] à promouvoir un livre d’enquête sur les Frères Musulmans, écrits par des spécialistes incontestables, par peur de perturber l’ordre public, quand le président de la République trouve le voile féministe, quand vouloir changer de religion ou ne plus en avoir une vaut peine de mort dans les prêches de dizaines de mosquées c’est petit-à-petit, le délitement du « non négociable » de nos sociétés qui s’éteint et des pans entiers de sa culture avec.

Le « centre culturel » d’un groupe humain est, en effet, composé avant toute chose de ses valeurs pour dire sa raison d’être singulière au monde. Les valeurs, loin d’être une simple belle affiche, en sont les rouages indispensables. Elles permettent de se représenter, de se défendre, de rayonner et de s’épanouir selon les choix libres du groupe. Et le réarmement des valeurs d’un groupe humain se fait toujours par la défense de sa cause ultime et vitale. Quelle est celle des sociétés européennes et plus particulièrement celle de la France aujourd’hui pour les années qui viennent ?


Les chefs de l’EI nous annoncent leur « retour » meurtrier mais ils ne sont jamais partis, ils continuent à œuvrer, à ramifier, à tisser. Ils écrivent chaque jour le récit fondateur de leur combat. Si nous n’y répondons pas très rapidement l’historien Toynbee aura eu raison : « les civilisations ne meurent pas assassinées, elles meurent parce qu’elles se suicident ».


Et l’EI et ses concurrents islamistes le savent très bien.

Alain CABRAS

[1] https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:6925113947968667648/ [2] https://www.marianne.net/societe/laicite-et-religions/sujet-sensible-jcdecaux-et-insert-refusent-les-affiches-dun-livre-sur-les-freres-musulmans?utm_medium=Social&utm_source=Twitter&Echobox=1650559533-1#xtor=CS2-5


72 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page